Arthur et la vengeance de Maltazard

Trois ans après le succès de Arthur et les Minimoys, Luc Besson revient avec de nouvelles aventures de son jeune héros au pays des Minimoys. L’occasion pour le cinéaste de revoir ses ambitions à la hausse, et pour Buf Compagnie de pousser encore plus loin la technologie  3D.


Certains critiques y ont vu l’expression d’un réalisateur qui refuse de grandir, d’autres le message écologique d’un cinéaste engagé, mais le grand public, lui, n’y a vu qu’un mélange étonnant, et tout à fait inédit, d’animation 3D et de prises de vues réelles. Adapté des propres livres pour enfants de Luc Besson, le film reposait sur un principe astucieux : pour les scènes dans le monde humain, ce sont des acteurs en chair et en os qui interprètent les personnages ; pour celles dans le monde lilliputien des Minimoys, les personnages sont entièrement animés en 3D. Cette astuce se doublait de plusieurs innovations technologiques : emploi de décors miniatures pour construire les environnements virtuels, animation basée sur des vidéos témoins d’acteurs réels en train de jouer les scènes…
Saluée de façon unanime, la réussite technique de Arthur et les Minimoys devait beaucoup à la capacité d’innovation de Buf Compagnie, et aussi à sa « puissance de feu ». Après tout, pour Buf Compagnie comme pour Luc Besson, il s’agissait-là de leur premier film d’animation. Le réalisateur et l’équipe de Pierre Buffin ont dû apprendre un nouveau langage, développer de nouveaux processus, inventer les techniques au fur et à mesure des besoins. “Le premier film nous a permis d’essuyer les plâtres, dans la mesure où il s’agissait aussi d’une expérience inédite pour la centaine de jeunes graphistes réunis chez Buf,” souligne Luc Besson. “De mon côté, j’ai surtout dû m’adapter au décalage qu’impliquait un film d’animation réalisé en 3D : entre le moment où j’avais l’idée d’un plan et la première vision du plan en question, il me fallait parfois attendre un an ! Fort de cette première expérience, j’avais cette fois une idée plus précise du résultat, et du coup, je me suis senti beaucoup plus libre avec la caméra. J’avais peut-être été un peu trop prudent en termes de mise en scène sur le premier Arthur : cette fois, je ne me suis rien refusé !”

Piège chez les Minimoys
Cette seconde aventure voit le jeune héros retourner dans le monde des Minimoys lorsqu’il reçoit un S.O.S. gravé sur un grain de riz. Après plusieurs contretemps, il parvient à retrouver ses minuscules amis… pour découvrir que personne n’a envoyé de message. Dès lors, Arthur va tenter de découvrir pour quelle raison quelqu’un a voulu l’attirer chez les Minimoys. Au fil de ses aventures, il va « piloter » moustiques, araignées, papillons et chenilles, sans oublier un avion et une voiture. Ouf ! De quoi donner des migraines aux équipes de Buf Compagnie dirigées par Stéphane Nazé (superviseur général 3D), François-Xavier Aubague (directeur de la production 3D), Yann Avenati (directeur de l’animation), et Edouard Valton et Audrey Tondre à la production.
Basé sur le second livre de la saga, le scénario impliquait de faire passer l’animation 3D à la vitesse supérieure. Mais l’équipe bénéficiait cette fois de toute l’expérience acquise sur le premier film. “Quand nous avons commencé Arthur et les Minimoys, aucun de nous ne savait si nous serions vraiment capables de le mener à terme, nous ignorions le type de problèmes qui se poseraient à nous…,” rappelle Pierre Buffin. “Cette fois, tout a été plus simple, avec un challenge de taille : réaliser deux films, Arthur et la Vengeance de Maltazard et Arthur et la Guerre des Deux Mondes (sortie en 2010), dans le même laps de temps que le premier, soit deux ans et demi ! Nous avons d’ailleurs commencé par doubler nos équipes et à faire en sorte de mieux les encadrer : nous avons notamment passé plus de temps à former les nouveaux graphistes. Tout en gardant le même principe que sur le premier Arthur, nous avons aussi simplifié les étapes de fabrication, avec un unique objectif : faire mieux que sur le premier. C’était d’ailleurs ma botte secrète pour « titiller » les graphistes : ils ne supportaient pas que je leur dise : ‘Hmmm… Cela me paraît moins bien que la première fois…’”

Buf Compagnie innove dans la continuité
La première question qui se posait était de savoir si les mêmes techniques allaient être reconduites sur le second film. Celles-ci avaient été mises au point après un long processus de recherche et développement. “Dans la mesure où nous avions été relativement innovants sur le premier film, changer la méthode paraissait difficile,” explique Pierre Buffin. “Les équipes étaient habituées au process et il était nécessaire de garder une cohérence visuelle avec le premier film. Du coup, nous avons plutôt fait le choix d’améliorer les choses, avec une décision radicale : fabriquer notre propre logiciel de rendu, qui nous a permis d’obtenir une meilleure définition, un meilleur rendu.”
Dans la pratique, le fait de reprendre les mêmes techniques n’a pas forcément accéléré les choses car, comme toujours en pareil cas, le temps ainsi gagné a été tout de suite phagocyté par une complexité accrue du projet et des images. “C’est vrai que le processus a été plus rapide, cette fois, mais en même temps, le niveau d’exigence a encore augmenté, notamment en termes de texture de l’image : tout a été amélioré,” commente Luc Besson.

Nouveaux modèles, nouveau moteur de rendu, nouveaux décors
Une fois la décision prise de ne rien changer au processus global, l’équipe se lance dans la mise à jour des modèles réalisés pour le premier film. En trois ans, la technologie a évolué, les logiciels maison de Buf ont progressé, et surtout, le moteur de rendu traditionnel du studio, Mental Ray, vient d’être remplacé par un tout nouveau moteur de rendu développé en interne. “C’était quelque chose qu’on voulait faire depuis longtemps,” explique Stéphane Nazé. “Mental Ray était le dernier logiciel du commerce de notre pipeline. À présent, tous nos logiciels sont développés en interne. C’est un gros atout pour nous car cela nous permet d’être plus réactifs. En ayant la maîtrise totale de l’outil, nous pouvons l’adapter très rapidement à tel ou tel nouveau besoin. Et puis, sur le plan du rendu lui-même, c’est encore mieux qu’avant !”
Le nouveau moteur de rendu fait prendre un sacré coup de vieux aux modèles 3D du premier film. Résultat, la mise à jour se transforme en une refonte des personnages. L’équipe en profite pour modifier leurs visages de façon discrète. Luc Besson souhaitait marquer le temps qui s’était écoulé entre les deux films : le public avait vieilli de trois ans, les personnages aussi… “Nous les avons très légèrement vieillis, notamment en réduisant la taille de leurs yeux, mais le résultat est subtil : il faut vraiment mettre les « anciens » et les « nouveaux » côte à côte pour s’en apercevoir,” souligne Pierre Buffin.
Buf décide aussi de changer la manière dont les environnements sont abordés. Dans le premier film, les décors du monde des Minimoys avaient été réalisés en photographiant des décors miniatures, puis en utilisant la photogrammétrie pour en déduire les volumes 3D. Ensuite, les mêmes photos avaient été projetées sur ces volumes pour obtenir un décor virtuel au sein duquel la caméra et les personnages pouvaient évoluer. “La technique avait bien fonctionné sur le premier film, mais elle avait ses inconvénients,” explique Stéphane Nazé. “Tant que la caméra restait assez loin des surfaces, ça passait, mais si on s’approchait d’une paroi, on voyait qu’il s’agissait d’une simple photo et non pas d’un vrai volume en 3D. Lorsque le plan était prévu dans le découpage, cela ne posait pas de problème parce qu’on avait suffisamment référencé l’endroit pour que ça fonctionne. Mais si Luc Besson ajoutait un nouvel angle de prises de vues, ça ne marchait plus. Il fallait retourner sur la maquette pour prendre des photos plus précises de cet endroit, puis reconstruire cette partie du décor virtuel. C’était assez lourd, surtout vers la fin, quand le temps commençait à nous manquer. Cette fois, on n’avait pas le temps de faire ces allers et retours. De plus, nous voulions offrir à Luc une liberté totale : il devait pouvoir ajouter un plan à la dernière minute sans que cela ne pose un problème quelconque. Pour y parvenir, il n’y avait qu’une solution : modéliser tous les décors en full 3D. Sur Arthur 1, il y avait déjà les décors extérieurs en full 3D, mais les intérieurs étaient tous en photogrammétrie, avec des arrière-plans en 3D.”

Paradise Alley, le Las vegas des Minimoys
Les environnements sont donc entièrement modélisés en full 3D, mais les textures sont encore et toujours basées sur des photographies de maquettes très détaillées. L’équipe de décoration de Hughes Tissandier fabrique ainsi onze nouveaux décors miniatures, et dépoussière quatre décors du premier film. Les photographes de Buf prendront plus de 100.000 clichés de ces décors ! “Lors de ces prises de vues, l’appareil photo est piloté par ordinateur pour éviter l’ombre de la main du photographe, tandis que la maquette est éclairée par une boîte blanche,” raconte Stéphane Nazé. “Cette boîte projette une lumière homogène et neutre qui éclaire le décor de façon uniforme en limitant les ombres. Ensuite, on modélise le décor sous forme de briques emboîtables, un peu comme des Legos, et chaque brique est texturée par un mapping de photos. Le décor est donc découpé en de multiples modules, ce qui nous permet de répartir le travail entre plusieurs graphistes.”
Le décor le plus complexe est sans nul doute Paradise Alley, un mélange de Broadway et de Pigalle, où les néons sont remplacés par des vers luisants et les véhicules par des insectes colorés… La séquence elle-même semblait rassembler tous les défis possibles et imaginables : une foule immense, une animation débridée de type cartoon, une narration complexe, sans oublier un environnement à la richesse sans équivalent dans la saga. “Les 250 plans de la séquence ont mobilisé 50 animateurs pendant près de quatre mois et l’on compte jusqu’à 1000 personnages 3D par plan !” précise Yann Avenati. “Nous nous sommes beaucoup amusés avec les rapports d’échelle sur cette séquence, en jouant de la différence de taille entre les Minimoys et les objets usuels que nous connaissons : un bigoudi, un blaireau ou un bout de crayon… Nous avons également pris beaucoup de plaisir avec Prosciutto, chef cuistot italien et surexcité. C’est Louis de Funès qui nous a servi de référence pour ce personnage !”

L’animation, à base de VMC (comédie de référence)
Par rapport au premier film, l’ensemble des personnages bénéficie d’une animation plus fluide, expérience oblige, et de vraies simulations de poils et de tissus. “Dans les scènes en extérieur, tout bouge avec le vent, c’est beaucoup plus réaliste que dans le premier film, même si ça reste discret,” explique Stéphane Nazé. “Par contre, nous n’avons pas appliqué cette nouveauté aux trois personnages principaux : leur design était déjà en place, notamment les cheveux de paille de Sélénia, assez rigides. On ne pouvait pas changer leur animation de façon excessive par rapport à ce qui avait été fait dans le premier film. Il fallait garder une certaine continuité.”
Comme pour Arthur et les Minimoys, l’animation est basée sur des vidéos témoins des scènes interprétées par une autre équipe d'acteurs, sans que cela devienne de la motion capture : l'animation est faite en « poses clés » classiques. Avantage d'utiliser des « comédiens de référence » : français et moins connus que les acteurs principaux américains, ils sont donc moins chers et aussi plus disponibles pour le planning de tournage et d'animation. Huit caméras entouraient le plateau, ce qui fournissait autant de points de vue différents sur l’action. À partir de ces images, les animateurs calaient l’animation des personnages sur les mouvements des acteurs. Il s’agissait donc de reproduire en key frame le jeu des comédiens, et non pas de motion capture, ni de performance capture. “Nous avons également animé un grand nombre de scènes directement à la main, sans vidéo témoin, tout simplement parce que l’action ne s’y prêtait pas, comme lorsque Arthur court sur une longue distance,” précise Stéphane Nazé. “Pour l’animation faciale, nous procédions différemment. Lors de l’enregistrement des voix des acteurs, ces derniers étaient filmés par quatre caméras témoins et devaient réellement « jouer » la scène. On se basait ensuite sur leurs expressions pour animer le visage des personnages. Nous avons fait un gros effort pour améliorer l’animation sur ce plan-là, en particulier au niveau des phonèmes et des labiales. C’est beaucoup plus précis à présent.”

À suivre en 2010...
Plus de 70 animateurs participeront au projet, sur un total de 300 personnes, avec une moyenne mensuelle de 150 personnes. Tous sont à présent au travail sur Arthur et la guerre des deux Mondes, avec un défi considérable : le passage de Maltazard dans le monde réel… et à taille humaine ! De quoi doubler le film d’animation 3D d’un énorme film à effets visuels. Résultat des courses le 20 octobre prochain.

Alain Bielik – Décembre 2009
(commentaires visuels : Paul Schmitt)
Spécialiste des effets spéciaux, Alain Bielik est le fondateur et rédacteur en chef de la revue S.F.X, bimestriel de référence publié depuis 18 ans. Il collabore également à plusieurs publications américaines, notamment sur Internet.