Le travail sur la série Pigalle, la nuit

Chef d’équipe électro
« Pour Pigalle, la nuit, il y avait quand même un mois et demi de tournage de nuit dans les rues entre les stations de métro Blanche et Pigalle. Nous n’avions pas l’autorisation de bloquer la circulation et ce n’était pas vraiment possible de monter des tours (NDLR : pour installer des projecteurs) et à l’intérieur, dans les bars, la clientèle était parfois présente pendant le tournage. Pour l’équipe électro, toutes ces conditions de tournage représentaient des difficultés particulières. J’ai choisi des gens avec lesquels j’ai l’habitude de travailler et en plus, comme le tournage durait 5 mois en tout, je me suis dit qu’il fallait partir sur deux équipes de manière à ne pas risquer de saturer les techniciens. J’ai donc travaillé avec deux chefs électro. Le premier aimait bien avoir un peu d’autonomie et me préparer des choses, et avec le deuxième que je connaissais moins, je ne me permettais pas de douter et du coup j’ai été plus directif et ça s’est très bien passé également. La relation avec le chef-électro est très importante : c’est vraiment le deuxième œil du chef-opérateur.
Il faut bien comprendre que les électros ne sont pas des « pousse-gamelles ». Ce sont des techniciens qui ont aussi un regard sur l’image et la lumière et, en plus, ils ont vu beaucoup de tournages et de manières de travailler différentes. Les machinistes eux aussi ont un grand sens de l’image : quand ils poussent un travelling, ils sentent très bien ce qu’il y a dans le cadre. »

Format de pellicule
« Pigalle, la nuit, a été tournée en 35mm 2 perforations. C’est la première fois que j’utilise ce format et je trouve cela assez formidable parce qu’on est aussi rapide qu’avec le format Super 16 et on obtient encore un meilleur résultat. Comme la surface du négatif est plus grande qu’en Super 16 (62 % plus grande en format 16/9), on bénéficie de plus de détails dans l’image. Par exemple, avec la pellicule 19 de chez Kodak, avec -4 diaph, les visages sont encore présents et dans les hautes lumières jusqu’à +3 diaph, j’obtiens encore de jolis choses. Ce qui signifie que je peux travailler sur une plage de 7 diaph. Le système d’entraînement de griffe/contre-griffe est évidemment différent de celui d’une caméra 35 normale. Aujourd'hui, il existe deux modèles de caméras adaptées à ce format. Une nouvelle Aaton qui s’appelle la Pénélope et l’ArriCam Light adaptée au format 2 perf. C’est ce modèle que nous avons utilisée. »

Etalonnage numérique
« Sur une série, le temps d’étalonnage est compté. Pour Pigalle, la nuit, j’ai disposé d’une journée et demie pour étalonner un épisode de 52 minutes, sur une machine Da Vinci 2K. Cela consiste essentiellement à renforcer si besoin ce que j’ai obtenu sur le négatif et à retravailler quelques séquences. Dans cette série, il y a des passages très oniriques, pour lesquels, avec le réalisateur, on a beaucoup travaillé au tournage sur les couleurs, en plus d’un énorme travail de décoration. Mais je savais qu’on traiterait également ces séquences au cours de l’étalonnage numérique pour obtenir une atmosphère particulière. C’est ce que j’ai fait avec l’étalonneur et le lendemain on montre le résultat au réalisateur Hervé Hadmar et je lui dis que cela me faisait penser aux photos du photographe tchèque Jan Saudek. Et il me répond que c’est exactement ce qu’il avait en tête pour ces séquences oniriques, mais pendant la préparation, il ne m’avait jamais parlé de ce photographe. Je trouve que cette anecdote illustre bien la qualité d'une collaboration qui peut se mettre en place avec un réalisateur, quand les choses se passent bien. »

A un jeune qui voudrait…
…faire de l’image. Jean-Max Bernard répond : « Je lui dirais qu’il faut qu’il soit bien naïf pour qu’il ne se rende pas compte que c’est très dur. Il faut bouger, ne pas rester dans son coin, téléphoner aux gens, passer sur des tournages, bref ne pas perdre le fil de ses envies. J’ajouterais qu’il est important d’analyser ce qui a été réalisé avant et ne pas se laisser totalement dominer par le numérique même si la HD est aujourd’hui une chance. Cela permet de travailler une image de bonne qualité et de voir le résultat tout de suite, mais il est essentiel de garder un suspense et une vraie envie sur les tournages et ne pas penser que l’on pourra tout modifier en postproduction. C’est essentiel d’obtenir un résultat avec une équipe au moment du tournage. »

Entretien réalisé par Thierry Leterrier - décembre 2009