L'esprit du Bauhaus en 5 leçons

L’essentiel sur le Bauhaus, sa vie son œuvre…

Célèbre de nom, le Bauhaus reste finalement peu connu chez nous. Pour preuve, la dernière exposition qui lui avait été consacrée en France date de 1969 ! Le musée des Arts Décoratifs à Paris remédie à cela avec cette grande exposition rassemblant jusqu’au 26 février 2017 quelque 900 objets issus de ses collections et de prêts. « L’esprit du Bauhaus » est aussi un catalogue (288 pages, 250 illustrations, 39€) coédité avec la fondation Hermès et graphiquement conçu par Philippe Apeloig, et qui va certainement devenir un ouvrage de référence.

Le parcours en spirale à travers la grande nef du musée aborde d’abord contexte historique et sources du Bauhaus, puis la production propre des étudiants et professeurs du Bauhaus. Et en conclusion, une cinquantaine de créations contemporaines rassemblés par l’artiste Mathieu Mercier posent la question de la transmission, de ce qu’était le Bauhaus et de ce qui en reste de nos jours. Nous en avons retenu cinq grandes leçons.

Le Bauhaus est une école
Oubliez le « style Bauhaus », le Bauhaus est une école, pas un mouvement artistique. Fondé en 1919 par Walter Gropius à Weimar, dissout en 1933 à Berlin face à la montée du nazisme, le Bauhaus est une école d’enseignement artistique qui veut fusionner les disciplines dans une démarche d’« art total », refusant la distinction entre beaux-arts et arts décoratifs. Pendant quatre ans, l’élève suit ainsi une formation à la fois pratique et formelle : cours préliminaire pour briser les idées académiques et ouvrir l’esprit des élèves, puis passages dans les différents ateliers spécialisés : mobilier, céramique, métal, vitrail, peinture murale, sculpture sur bois et sur pierre, tissage, typographie et publicité, photographie, théâtre… Au total, 1250 élèves ont fréquenté le Bauhaus pendant ses 14 années de vie.

But ultime : la construction
« Le but ultime de toute activité plastique est l’édifice ! » proclame Walter Gropius dans le manifeste fondateur du Bauhaus dont le nom seul résume déjà le programme (Bau = bâtir ; Haus = maison). Walter Gropius et les éminents artistes qu’il recrute comme professeurs (Kandinsky, Paul Klee, Theo Van Doesburg, Laszlo Moholo-Nagy, Marcel Breuer) pensent en effet que l’art doit changer la vie. C’est donc les artistes, et non les ingénieurs, qui doivent mener à bien ce changement. Proposer, à bas prix, des objets fonctionnels et esthétiques, des bâtiments équipés jusqu’au moindre détail, en faisant travailler main dans la main artistes, artisans et industriels, est l’ambition collective de l’école.

 La première exposition du Bauhaus en 1923 se concentre sur la Haus am Horn, maison témoin fruit d’un travail collaboratif des différents ateliers de l’école. Cette maison familiale révolutionne l’espace à habiter ; sobre et cubique, elle est un prototype pour la production en série de l’habitat modulable, qui s’articule autour d’une pièce à vivre principale et d’une cuisine standardisée et intégrée. Elle contribue fortement à la renommée du Bauhaus en Allemagne et à l’étranger. Le déménagement à Dessau en 1925 fournit une autre occasion d’aménager bâtiment et maisons voisines pour les enseignants dessinées par Walter Gropius lui-même.

Curieusement, le Bauhaus ne créera formellement un département architecture qu’en 1927.

Une école sous influences multiples
L’alliance de l’industrie, de la modernité et de l’esthétique prônée par le Bauhaus prolonge les ambitions de Henry Van de Velde et du Deutscher Werkbund, (association d’architectes et d’industriels) au tournant du siècle, ainsi que du mouvement anglais Arts and Crafts fin du 19ème siècle.

Les méthodes d’enseignement sont directement empruntées aux corporations du Moyen-Age : la hiérarchie maîtres-compagnons- apprentis comme système de transmission, l’artisanat comme fondement de l’enseignement, ainsi que la collaboration de tous les arts en vue d’un projet commun. Avec comme idéal la cathédrale gothique où tous les corps de métiers se réunissaient pour accomplir ensemble « l’oeuvre ». Toujours l’idée de construction…

Les mouvements artistiques de l’époque, l’expressionisme allemand ou la Sécession à Vienne, influencent fortement le Bauhaus à ses débuts, y compris dans leurs idéologies ésotériques ou mystiques. Ce n’est qu’à partir de 1923 que le Bauhaus s’ouvre aux tendances avant-gardistes de l’époque, dont le modernisme et le constructivisme auxquels on le réduit si souvent de nos jours.

Le Bauhaus, lieu de vie et de création
Le Bauhaus est un lieu physique où maîtres, apprentis et compagnons vivent ensemble, et où la transmission du savoir se fait autant au quotidien que dans les ateliers. La pratique artistique est permanente : l’organisation de nombreuses fêtes, au son de l’orchestre de l’école, suppose la création par les étudiants et les maîtres de décors, de costumes, de prospectus, de cartons d’invitation, etc. D’où l’importance de l’atelier théâtre dans la vie du Bauhaus.
Lieu festif, le Bauhaus est aussi un lieu d’affrontement idéologiques : expressionnistes vs rationalistes, apolitiques vs militants socialistes ou communistes, etc. La force du Bauhaus est aussi d’avoir laissé ces différentes vues s’exprimer et coexister, gardant ainsi une vie artistique d’une extrême richesse.

L’héritage du Bauhaus
L’héritage de l’école est un esprit de liberté, d’invention, de création et de transmission, et permet de rassembler architectes, peintres, céramistes, orfèvres, etc. malgré leurs différences. A l’opposé d’un style figé, c’est un esprit d’expérimentation ouvert à la nouveauté, un décloisonnement des disciplines qui reste toujours d’actualité.

Paul Schmitt, octobre 2016