La Belle et la Bete de Walt Disney

En 2014, Christophe Gans avait réinventé la Bête en utilisant l’animation 3D pour le visage. Cette fois, c’est la créature entière qui a été créée par ordinateur !

On ne change pas une formule qui gagne. Depuis le milliard de dollars engrangé par Alice au pays des merveilles en 2010, les studios Disney se sont lancés dans une série de remakes live de tous leurs grands classiques d’animation. Et ça marche ! Après Le livre de la jungle l’an dernier (et son Oscar des meilleurs effets visuels), la « cuvée » 2017 nous offre la version en prise de vues réelles d’un des films les plus populaires de l’histoire du studio, La Belle et la Bête. Sorti en 1991, le long-métrage original avait tellement impressionné qu’il avait été le premier film d’animation nominé à l’Oscar du meilleur film.

Autant dire que la barre était placée très haut pour le réalisateur Bill Condon et son équipe. Les effets visuels ont été supervisés par Steve Gaub, responsable de la postproduction et vétéran de gros projets VFX comme Terminator Renaissance ou Tron : L’Héritage. Deux studios se sont partagés les principaux effets du film pour un total de 1700 plans: Digital Domain s’est chargé de la création de la Bête et des loups, tandis que Framestore s’est concentré sur les objets animés du château.

Les effets visuels ont joué une grande part dans la création des environnements. Le village, par exemple, a été créé en numérique autour de la place qui, elle, était un décor extérieur. Les maisons n’avaient que leur premier étage et toutes les perspectives étaient bouchées par des fonds verts. Même chose pour le parc du château de la Bête dont seule une petite partie a été construite en studio. Pour les intérieurs, les décors les plus vastes ont été agrandis vers le haut. La salle de bal, la bibliothèque, le grand escalier, etc., étaient des décors réels qui ne mesuraient que quelques mètres de haut ; toute la partie supérieure a été ajoutée en postproduction. Parallèlement, derrière chaque fenêtre se trouvait un fond vert qui était ensuite remplacé par une vue sur le parc.

Designer la Bête
Dès le départ, tous les efforts se sont concentrés sur le design de la Bête. Si le look du personnage ne fonctionnait pas, c’est tout le film qui s’effondrait… “C’était un personnage très difficile à visualiser car il reposait sur deux impératifs contradictoires,” raconte Staub. “D’un côté, la Bête devait être effrayante pour justifier le fait qu’elle fasse peur à tout le monde, mais de l’autre, il fallait aussi qu’elle soit suffisamment « attirante » pour rendre crédible le fait que Belle tombe amoureuse d’elle. Et ça, c’était extrêmement délicat. Il s’agissait en fait de doser le côté animal (la peur) par rapport au côté humain (l’amour). Cela impliquait aussi de décider si elle devait marcher sur deux pattes ou à quatre pattes, ou une alternance des deux ? Et quelle taille devait-elle faire : assez grande pour impressionner, mais pas trop pour que Belle puisse danser avec elle… Nous avons travaillé pendant des mois sur des prototypes. Des dizaines de formes de cornes ont été testées, d’innombrables styles de fourrure, différents types de crocs, etc. L’autre élément problématique a été le design des pattes. Il est très difficile de réaliser des pattes à triple articulation qui fonctionnent sur un personnage bipède : dans la nature, seuls les quadrupèdes ont ce type de pattes. Nous avons testé quantités de versions différentes – avec un impératif : elles devaient permettre au personnage de danser la valse… Il a fallu très longtemps pour trouver un design qui se marie bien avec l’esprit du personnage. Une fois que tous les éléments ont été finalisés, la Bête a été modélisée en 3D par Digital Domain.”

Sur le plateau, la Bête était interprétée par l’acteur Dan Stevens dans une tenue de motion capture à base de motifs géométriques. Grâce à des caméras témoins, Digital Domain a pu ensuite reconstituer ses mouvements. Lorsqu’il partageait l’écran avec Emma Watson, Stevens était juché sur des extensions de jambes qui le plaçaient à la bonne hauteur. En revanche, l’équipe a choisi de ne pas enregistrer les expressions faciales sur le tournage – le casque de performance capture interférait trop avec le jeu des acteurs. Seuls les mouvements du corps ont été capturés. L’animation du visage a été entièrement gérée en postproduction.

Performance capture innovante pour l’animation faciale
Pour l’animation faciale, Digital Domain a utilisé une technologie de performance capture très particulière. Développé en interne, le Direct Drive capture les mouvements du visage à partir d’un maquillage ultraviolet invisible à l’œil nu. Aucun point de tracking n’est nécessaire. “Lorsqu’on éclaire le visage avec de la lumière noire, tous les reliefs deviennent visibles, jusqu’au moindre ridule,” précise Staub. “Le système se base sur les mouvements de ces structures pour identifier les mouvements du visage avec une très grande précision. L’acteur est filmé par 28 caméras dans un petit studio avec une batterie de lumières autour de lui. Un groupe de sources lumineuses l’éclaire en lumière blanche normale, et l’autre en lumière noire, et les deux se succèdent très vite, tellement vite qu’on ne peut pas voir l’alternance à l’œil nu. À l’arrivée, toutes les nuances du jeu de Dan ont été enregistrées, si bien que nous avons eu très peu de retouches à faire en key frame. Quasiment tout ce que vous voyez à l’écran au niveau de la Bête, c’est l’interprétation de Dan. Les seules choses que nous avons retouchées, ce sont les yeux pour les regards, et les lèvres pour les dialogues. Nous avons aussi ajouté les battements de paupières et la dilatation des pupilles : ils étaient calés exactement sur ceux de Dan !”

Les objets animés du château
Les autres « stars » du film, ce sont les objets animés qui volent souvent la vedette aux deux personnages principaux. Leur design est très proche de celui de la version animée de 1991. Bill Condon voulait que ces objets aient l’air réels, qu’ils évoquent presque des petits robots. “Le plus difficile a été de doser l’animation, car ce sont tous des objets rigides à la base,” explique Staub. “On ne pouvait pas s’amuser à faire du « stretch and squash » comme dans un film d’animation ! La solution a consisté à réaliser des dizaines de tests pour voir jusqu’où nous pouvions pousser l’élasticité de ces personnages. Il est apparu que plus on s’éloignait de la réalité physique, plus les objets semblaient « animés », c’est-à-dire qu’ils perdaient leur côté réel et devenaient des créatures de dessin animé. Par exemple, dans les premières versions, l’horloge Big Ben se tordait à 90°, c’était beaucoup trop. Nous avons réduit considérablement l’amplitude de l’animation pour chacun de ces personnages. C’est devenu alors un exercice de subtilité, l’idée était de créer le maximum d’expressions avec le minimum de torsion possible.” Pour compliquer encore les choses, certains personnages exigeaient aussi qu’on les combine avec des simulations dynamiques diverses : les flammes des chandelles sur Lumière, le thé dans les tasses et la théière, etc.

Sur le plan de l’animation, le grand tour de force du film est certainement la scène musicale « Be our guest », ou « C’est la fête » en français. “Cette scène était le « clou » du film original, tout le monde s’en souvient. La chanson avait d’ailleurs été nominée à l’Oscar. Nous savions qu’il serait très difficile de rivaliser avec une telle séquence, qui plus est dans un film en prises de vues réelles. Bill et les studios Disney voulaient vraiment un spectacle éblouissant avec des centaines d’objets qui dansaient au son de la musique. Les effets et l’animation étaient tellement complexes que Framestore a mis en place une équipe dédiée. Ils n’ont fait que ça pendant toute la durée du projet !”

Alain BIELIK, mars 2017
(Commentaires visuels: Paul Schmitt)
Spécialiste des effets spéciaux, Alain Bielik est le fondateur et rédacteur en chef de la revue S.F.X, bimestriel de référence publié depuis 25 ans. Il collabore également à plusieurs publications américaines, notamment sur Internet.


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