Le Petit Prince

Belle adaptation du roman avec une histoire autour de l’histoire, chacune dans une technique différente : infographie CG et stop-motion.

Après la série, le film. Mais avec beaucoup plus d’ambition artistique, servie par un budget conséquent (57M€) et une équipe américaine habituée des blockbusters : le réalisateur Mark Osborne (Kung Fu Panda) et les character designers Peter de Sève (Age de Glace, Le Monde de Nemo) et Alex Juhasz entre autres.

Adapter Le Petit Prince en film pose en effet un double défi.  L’histoire, emplie de poésie et de méditations, n’est pas du tout adaptée à un storytelling classique hollywoodien ; même le maître Miyazaki, fan de l’œuvre, a renoncé à la porter à l’écran. Et adapter et animer les célébrissimes dessins de Saint-Exupéry sans en trahir la délicatesse a de quoi faire peur aux plus chevronnés. Aton Soumache, producteur de la série (52x26’ réalisés entre 2010 et 2013 et diffusés sur France 3), et Dimitri Rassam y réfléchissent depuis une dizaine d’années. Malgré leur expérience (les longs métrages d’animation Renaissance et The Prodigies pour Aton Soumache; les films Les Enfants de Timpelbach, Le Prénom et Papa ou Maman pour Dimitri Rassam), le duo cherche longuement.

Leur rencontre avec le réalisateur Mark Osborne en 2010 est un déclencheur. Très attaché au Petit Prince (son épouse lui a offert le livre alors qu’ils n’étaient encore que deux étudiants amoureux), Mark Osborne a l’idée d’ « écrire une histoire autour du livre pour mieux le préserver » : dans un monde trop rationnel, où le livre n’a jamais été publié, l’Aviateur devenu vieux raconte sa rencontre avec le Petit Prince à sa voisine de petite fille. Il a aussi l’idée d’utiliser deux techniques d’animation pour le film : l’infographie CG pour l’histoire moderne, l’animation en volume (stop-motion) pour les scènes tirées du livre.

Ces deux techniques sont au service de designs délibérément différents. Le monde moderne est un «univers pavillonnaire, cubique et froid, à la Jacques Tati » comme le décrit Aton Soumache, où dominent les couleurs blanc et bleu. Seule détonne la maison de l’Aviateur, « étrange, biscornue, désordonnée et très colorée ». Les scènes tirées du livre sont littéralement en papier mâché, un traité qui rend à merveille la délicatesse et la fragilité de l’univers poétique imaginé par Saint-Exupéry.

Mark Osborne s’entoure d’une équipe de scénaristes et artistes, et pendant plusieurs mois en 2010 à Los Angeles développe le concept du film, son univers et son design avec l’aide de Peter de Sève et Alex Juhasz (voir notre galerie l’Art du Petit Prince en rubrique Illustration). Le travail est loin d’être terminé quand Mark Osborne s’installe fin 2010  à Paris pour un an avec sa famille pour écrire le storyboard et préparer la fabrication du film. L’Aviateur et la Petite Fille n’ont pas encore leur design définitif, pas plus que le Petit Prince comme l’explique Peter de Sève : «Le personnage le plus difficile à imaginer est souvent le protagoniste principal. Dans ce cas-là, chacun a une représentation du Petit Prince. Je faisais une vingtaine de dessins que j’envoyais à Mark en amont de nos rendez-vous via Skype. Il me signalait différents éléments du visage du Petit Prince, ses proportions, son costume etc. jusqu’à ce qu’on se rapproche de ce qu’on voulait ».

La fabrication du Petit Prince se déroule à Montréal à partir de 2013, sous la houlette de Mark Osborne qui  impose ses méthodes éprouvées chez Dreamworks : projection avec revue critique des plans réalisés, redesign des modèles tout au long de la fabrication. Le modèle de la Petite Fille en CG subira pas moins de 130 révisions, pour en améliorer l’expressivité…
 La filiale québecoise de Mikros Image prend en charge la partie infographie CG. Jusqu’à 150 animateurs y travaillent simultanément (400 au total). Le rendu est fait avec le moteur français Guerilla Render choisi pour sa grande qualité de textures et faciliter ainsi la transition visuelle entre séquences CG et stop-motion.
 La partie stop-motion est confiée au spécialiste Jamie Caliri qui a l’habitude de travailler avec Alex Juhasz comme directeur artistique. Leur équipe s’installe dans une ancienne fabrique de chaussures aux planchers en bois. Et les 50 animateurs durent du coup se déplacer précautionneusement entre les 14 plateaux pour ne pas faire trembler marionnettes et accessoires pendant le tournage ! Les marionnettes ont bien sûr une armature en métal, mais têtes et mains sont en terre-papier (paperclay) et le reste en argile et polystyrène. Les décors sont en papier découpé et peint. Captation et animation sont faites dans le logiciel Dragonframe développé par Jamie Caliri et son frère Dyami, logiciel devenu un standard pour les films en stop-motion.

Ces 16 minutes d’animation en volume sont une pure réussite esthétique et font honneur à la poésie du Petit Prince. La relation entre la Petite Fille et l’Aviateur vieillissant puis malade, thème principal de la partie du film en CG, complète avec bonheur le message de Saint-Exupéry sur l’amitié et la difficulté de la séparation. Dommage que le voyage final (rêvé ?) de la Petite Fille où elle rencontre Mr Prince, le Petit Prince devenu adulte, soit plutôt du niveau de la série TV que du livre : chez Saint-Exupéry, le Petit Prince reste éternel enfant et il n’y a pas de méchants, les adultes sont juste perdus dans leurs manies et défauts absurdes. Mais hors cela, ce Petit Prince est un excellent film, du niveau d’un bon Pixar.

Aton Soumache et Dimitri Rassam ont d’ailleurs cette ambition. En fusionnant leurs sociétés début 2014 pour former On Entertainment, ils veulent, à l’instar de McGuff avec Illumination, créer une « mini-major » européenne qui sortirait un long métrage d’animation par an (en plus des séries TV). Prochaine étape, prévue pour 2017 : reproduire le succès de La Grande Aventure Lego (2014, animation : Animal Logic) avec les Playmobil !

Paul Schmitt, juillet 2015

Galeries à voir sur les mêmes sujets:

> L'Art du Petit Prince

Films produits par Aton Soumache:

> The Prodigies
Les Enfants de Timpelbach

> Renaissance (1)

> Renaissance (2)

Films produits par Dimitri Rassam:

> Les Enfants de Timpelbach