The Good Dinosaur (vo)

Avec ce film dont l’action se déroule entièrement en extérieurs, Pixar signe son long-métrage le plus éblouissant visuellement.

Chez Pixar, la qualité n’est pas un vain mot. Pour la troisième fois en quatre films, le réalisateur a été remercié, et le projet repris à zéro par une nouvelle équipe quelques mois seulement avant la sortie. À chaque fois, le problème était le même : le film ne fonctionnait pas à 100%, et pour Pixar, c’est 100% ou rien. La sortie du Voyage d’Arlo a même été repoussée d’un an pour permettre à l’équipe de réaliser une nouvelle version du film. Une décision lourde de conséquences sur le plan financier (aucun film Pixar n’est sorti l’an dernier), mais qui prouve que le studio, même s’il est aujourd’hui propriété de Disney, ne recule devant rien pour s’assurer que le résultat final est absolument le meilleur possible. Chez tout autre studio d’animation, la production aurait tenté de corriger ce qui n’allait pas. Chez Pixar, on a jeté deux ans de travail et tout recommencé à zéro… En n’hésitant pas à confier le film à Peter Sohn, un vétéran de Pixar qui a travaillé sur de nombreux films (dont Le Monde de Nemo, Les Indestructibles, Wall-E) mais n’avait jamais réalisé un long métrage auparavant.

Comme la plupart des films du studio, Le Voyage d’Arlo repose sur une question « Et si… ? » qui ouvre à chaque fois la porte à d’infinies possibilités. Après des jouets vivants, des monstres payés pour faire peur, un rat qui devient chef dans un restaurant, une histoire d’amour entre deux robots, il s’agit cette fois de répondre à la question « Et si les dinosaures avaient survécu ? ». Dans cet univers alternatif, les hommes et les dinosaures vivent les uns à côté des autres, et l’histoire se concentre sur le lien qui se tisse entre deux jeunes spécimens de chaque espèce.

De par la nature de l’histoire, Le Voyage d’Arlo exigeait un cadre très différent de tout ce que Pixar avait fait par le passé. La première grande nouveauté était le fait que la quasi totalité de l’action se déroulait en extérieurs. Dans les films précédents, le paysage était montré en plan large de temps en temps, puis l’action se resserrait sur les personnages. Dans Le Voyage d’Arlo, le paysage reste constamment présent à l’écran. Le réalisateur Peter Sohn, voulait un panorama qui s’étende à perte de vue derrière les personnages, comme dans les meilleurs westerns.

Paysages en full 3D

Pour l’équipe technique, cela représentait un défi inédit. Sur les films Pixar, les paysages sont traditionnellement réalisés en combinant un avant-plan modélisé en 3D et un arrière-plan créé en 2D sous forme de matte-painting. Et s’il faut réaliser tout un paysage en 3D, cela ne concerne qu’une poignée de plans, comme dans Rebelle. Une approche impossible à appliquer au Voyage d’Arlo, car les personnages accomplissent un voyage au travers de nombreux paysages différents. Il fallait donc trouver un moyen rapide et économique de réaliser ces derniers.

La solution est venue lorsque le réalisateur a choisi le parc national du Grand Teton, dans le Wyoming, comme base d’inspiration des décors de Le Voyage d’Arlo. L’équipe a découvert que le US Geological Survey gérait un programme de relevé de données topographiques précises de tout le pays, à commencer par les parcs nationaux. Ces données sont libres d’accès et peuvent être combinées à des photographies prises par satellite. L’équipe a pu télécharger le dossier du Grand Teton et importer toutes ces données dans l’ordinateur. Le logiciel a ensuite utilisé les mesures pour modéliser en 3D le terrain correspondant. Et le tour est joué : la région entière est soudain représentée en 3D avec une précision inespérée.

Une fois le terrain modélisé, le paysage a été « décoré » de milliers d’éléments dont l’emplacement est basé sur les photos par satellite correspondant à l’endroit en question. Le principe a consisté à indiquer au logiciel que tout ce qui était vert dans la photo devait être des arbres ; les tons bruns, c’était de la terre ; et le bleu, c’était de l’eau. Les éléments ont ensuite été créés par instanciation géométrique, ce qui a au final créé une réplique quasiment photoréaliste du vrai parc national.

Le décor comprend environ 270 espèces de plantes et d’arbres différentes, toutes basées sur des variétés existantes. Pour animer cette végétation, l’équipe des effets visuels a défini une quinzaine de niveaux de vent préétablis. Le mouvement des feuilles repose sur des boucles de simulation complètes qui durent 600 images. En fonction de la situation, plusieurs niveaux de vent ont été testés pour voir celui qui donnait le meilleur résultat.

Ciel et nuages en 3D
À partir du moment où le paysage était réalisé en trois dimensions, Peter Sohn pouvait placer sa caméra où il voulait et l’orienter dans la direction qu’il souhaitait : le panorama s’étendait jusqu’à l’horizon. Restait encore à gérer ce qui se passait au-dessus de cet horizon, à savoir le ciel. Ce dernier est un autre élément clé du film. Il écrase littéralement l’image, comme dans les grands westerns classiques tournés dans les Montagnes Rocheuses. Ce ciel immense devait être rempli de nuages  à l’esthétique très travaillée. Là encore, Pixar a dû innover. Dans tous les films précédents du studio,les nuages ont été créés à l’aide de matte-paintings, soit en 2D. Mais pour Le Voyage d’Arlo, cela n’était pas suffisant : on pouvait difficilement imaginer des nuages peints en 2D au-dessus d’un paysage tridimensionnel. Il fallait donc que les nuages soient, eux aussi, créés en trois dimensions. Une première sur un film d’animation entier !

L’équipe s’est donc attachée à créer les nuages de manière volumétrique. Un énorme projet qui a impliqué un chamboulement majeur du pipeline de Pixar. Mais le jeu en valait la chandelle. Ces nuages volumétriques peuvent être animés facilement, ils apparaissent en trois dimensions, ils peuvent s’adapter à n’importe quel type d’éclairage, et même, luxe suprême, projeter leur propre ombre sur le relief. Une fois le procédé établi, l’équipe a créé une petite banque de données de nuages. Les graphistes pouvaient ainsi choisir le type de nuages, la forme et le style qu’ils souhaitaient, puis marier et mélanger le tout, en les étirant, les contractant, et les manipulant selon les besoins.

Avec un ciel et un sol entièrement générés en 3D, Pixar s’est tout de suite retrouvé avec des temps de rendu exorbitants. L’équipe a donc cherché des raccourcis pour limiter les temps de calcul. L’une de ces techniques a été la création d’un outil basé sur l’ampleur du mouvement de caméra : si la caméra bougeait peu ou pas du tout, le logiciel calculait une vue clé du paysage et la reproduisait sur toutes les images concernées tant que la caméra ne bougeait presque pas. Autrement dit, dans ces cas-là, le rendu était calculé sur une seule image-type et non pas sur toutes. Une astuce qui a été employée sur 70% des plans du film et qui a permis des économies considérables en termes de temps de rendu.

Effets visuels : pluie et rivière en crue

Après le ciel et les paysages, le troisième élément clé du projet sur le plan technique a été les effets visuels : vent, pluie, feu, orage, eau, etc. Le Voyage d’Arlo en comporte deux fois plus que n’importe quel film Pixar à ce jour. C’est bien simple, l’équipe en charge de cet aspect du projet a généré plus de 300 To de données, soit plus que l’ensemble des données d’un film comme Cars 2 !

« C’est le plus grand film à effets que nous ayons fait depuis la création de Pixar, et de loin ! insiste Jon Reisch, le superviseur des effets. D’habitude, à peu près 30 % des plans d’un film sont des plans à effets. Dans Le Voyage d’Arlo, nous en avons le double, plus de 60 % ! Cela représente plus de 900 plans à effets visuels sur environ 1500. »

À commencer par la pluie, présente dans 400 plans sur les 1500 du film. Pour obtenir profondeur et richesse visuelles, explique le superviseur effets Jon Reisch,  « nous avons fait intervenir pour chaque séquence plusieurs couches de pluie à différentes distances de la caméra. Ces « boîtes de pluie », comme nous les appelons, sont littéralement des boîtes dans l’espace remplies d’une pluie pré-simulée, que ce soit une petite bruine ou une grosse averse avec du vent. Nos artistes effets pouvaient rapidement mélanger différentes boîtes pour obtenir la météo voulue dans une séquence donnée, tandis que nos artistes chargés de l’éclairage pouvaient ajuster la lumière et la profondeur de chaque boîte indépendamment les unes des autres afin d’accentuer l’impression de profondeur de champ. »

La rivière est elle l’effet visuel majeur du film, avec un rôle équivalent à la fameuse route de briques jaunes du Magicien d’Oz, le fil conducteur de l’histoire. Plutôt que d’avoir à gérer une énorme simulation de fluides, le studio a créé la rivière en différents modules individuels qui pouvaient être alignés les uns derrière les autres pour obtenir la longueur voulue.

De l’avis général, Pixar a signé avec Le Voyage d’Arlo son plus beau film sur le plan visuel. Une réussite qui marque, après l’exceptionnel Vice-Versa, le retour du studio à sa meilleure forme. Et toujours avec ce souci d’exigence qui fait sa marque de fabrique.

Alain BIELIK, novembre 2015
(Commentaires visuels : Paul Schmitt)
Spécialiste des effets spéciaux, Alain Bielik est le fondateur et rédacteur en chef de la revue S.F.X, bimestriel de référence publié depuis 24 ans. Il collabore également à plusieurs publications américaines, notamment sur Internet.


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