Mad Max Fury Road

Voitures d’enfer, poursuites hallucinantes dans un désert après l’Apocalypse : Mad Max est de retour ! Dans un film extrêmement visuel, tout en cascades réelles.

Trente ans que nous attendions ce film, trente ans au cours desquels George Miller a exploré d’autres univers, dont celui du cinéma d’animation avec Happy Feet. Ce retour à la saga qui a lancé sa carrière sonne comme un coup de tonnerre dans le monde du film d’action.

Visuellement, Mad Max : Fury Road est un enchantement permanent, un spectacle dont l’ambition esthétique va bien au-delà de ce qui se fait dans le genre. Et sur le plan de l’action, George Miller prouve qu’à 70 ans, il n’a pas d’égal en la matière aujourd’hui. Les courses-poursuites sont portées par un réalisme à des années-lumière des acrobaties pixelisées et formatées de la production hollywoodienne, façon Fast & Furious ou Avengers. Et ça fait toute la différence. Si le grand public s’est autant extasié sur les différentes bandes annonces du film, c’est parce qu’il a perdu l’habitude de voir des cascades « réelles ». Ces scènes d’action explosives ne ressemblent à rien de ce que nous avons vu ces dernières années – simplement parce que tout est vrai.

Tout ? Oui, comme nous l’explique Andrew Jackson, superviseur des effets visuels. “La majeure partie de notre travail a consisté à modifier les images réelles sans rien y ajouter, en particulier pour les cascades. Ces scènes étaient tout à fait extraordinaires sur le plan de l’action, mais George voulait les rendre encore plus percutantes grâce à des retouches parfois très subtiles.

Il s’agissait surtout de jouer sur l’espace et le temps. Par exemple, les véhicules étaient extraits de leur emplacement réel pour être replacés plus proches les uns des autres. L’action était 100% authentique, mais le danger était « intensifié » par les effets visuels. Ou bien, on modifiait la chronologie de l’action en prenant une partie de l’image dans un plan pour l’associer à une autre partie issue du même plan, mais plus tard dans l’action. Cela permettait d’avoir un timing absolument parfait, ce qui n’est pas toujours possible avec des véhicules lancés à pleine vitesse.

Dans le même esprit, nous avons souvent combiné plusieurs prises successives en un seul plan. George sélectionnait le meilleur moment de chaque prise, et on créait un plan « parfait » en les associant tous ensemble. Le détourage des véhicules était grandement facilité par le fait que tous les plans de poursuite ont été filmés sur fond de désert, soit un arrière-plan monochrome.”

L’exemple type de cette approche 100% compositing est la scène de l’explosion du camion-citerne. L’action est réelle, tout comme l’armada de véhicules. Simplement, la scène a été filmée en deux fois. Dans la première prise, le camion en feu était entouré de toute l’armada mécanisée et n’explosait pas. Dans la seconde prise, le camion était seul à l’image, sans les flammes, ni les autres véhicules, mais finissait par exploser. En postproduction, les deux prises ont été combinées pour qu’à l’écran, le camion en feu explose au beau milieu des voitures dans une scène d’anthologie.

Une approche innovante : la post-visualisation !
Ces retouches d’images renforçaient considérablement l’impact des scènes d’action, mais elles présentaient un énorme défi sur le plan logistique : quel élément de quel plan devait être associé à quel autre élément issu de quelle prise… Pour gérer cet aspect du projet, Andrew Jackson a opté pour une stratégie encore assez rare à Hollywood : la postvisualisation.

À l’issue du premier montage, l’équipe de Jackson a réalisé une version provisoire de chaque plan à effets. La résolution était celle d’un jeu vidéo moyen, mais cela suffisait pour visualiser le résultat final. L’idée était de permettre à George Miller de monter son film à partir de scènes réelles où tous les éléments étaient présents. Dans les films à effets visuels, le montage doit être fait à partir de plans dans lesquels il manque une partie plus ou moins grande de l’action. La prévisualisation peut pallier ce problème, mais jusqu’à un certain point, car il s’agit de prévisions synthétiques de plans, pas des plans effectivement filmés. Le résultat peut s’avérer bien différent.

Avec la post-visualisation, le réalisateur et les monteurs travaillent sur le matériau réel, sur l’image finale. L’avantage n’est pas qu’artistique : comme le montage est finalisé très tôt, il y a peu de changements par la suite et donc, peu d’effets visuels à refaire.

“Cette postvisualisation a été traitée par une équipe de graphistes que j’ai montée en interne,” précise Jackson. “George pouvait tester différentes variantes d’un même plan, recomposer des plans, les combiner entre eux, etc. Les effets visuels lui offraient la chance de pouvoir piocher dans le matériau filmique sans se soucier ni de la chronologie, ni de la prise. Et comme il s’agissait d’une petite équipe, le coût était négligeable. Sur certains plans, notre équipe VFX est allée si loin que j’ai décidé de finaliser ça en interne : le travail était presque fini, ça n’avait pas de sens de confier les dernières étapes à un prestataire extérieur.”

Au final, plus de 400 plans ont été entièrement réalisés par l’équipe interne. Pour le reste, soit quelque 1600 plans, la postvisualisation a été transmise aux différents prestataires VFX (principalement Method Studios à Sydney). Là encore, cette approche s’est avérée être tout bénéfice pour la production : “D’abord, les prestataires ont pu fournir un devis parfaitement précis, car nos « maquettes » de plans ne laissaient aucun doute sur les techniques à mettre en œuvre. Ensuite, sur le plan créatif, il n’y avait aucun risque d’erreur de leur part : il leur suffisait de suivre le « modèle ». Du coup, les « déchets » (inévitables sur une production classique) ont été réduits au strict minimum. Autrement dit, ce petit investissement en amont s’est traduit par de grosses économies en aval.”

Renforcer l’impact visuel
En parallèle de ces manipulations d’image sur les scènes d’action, l’équipe de Jackson est largement intervenue sur les environnements. Par sécurité, de nombreux plans ont été filmés en Namibie sur des portions de désert parfaitement planes – jusqu’à l’horizon. Des sites bien pratiques pour tourner des cascades automobiles, mais guère excitants sur le plan visuel. Avec son chef décorateur, George Miller a donc demandé de nombreux changements sur les paysages afin de les rendre plus photogéniques. Ainsi, la scène de l’explosion du camion a été modifiée par l’ajout de collines basses de part et d’autre de l’armada mécanique.

“Suivant la distance par rapport à la caméra et le mouvement de caméra, nous utilisions de vrais modèles 3D ou bien des projections 2D ½,” explique Jackson. “Par contre, nous partions à chaque fois de décors qui existaient réellement. On se contentait de les modifier ou bien d’ajouter un élément. Ainsi, l’immense rocher en forme de tour dans lequel se déroule une partie de l’action a été créé en images de synthèse, mais le reste du paysage est authentique. Même chose pour le canyon dans lequel se déroule une poursuite. Le défilé rocheux existe vraiment, mais la hauteur des parois a été augmentée par ordinateur. Nous avons également ajouté des rochers pour la scène de l’éboulement.” Autant d’effets indétectables à l’écran et qui contribuent de façon subtile à l’impact visuel général.

Dans tout le film, il n’y a qu’une seule scène qui repose entièrement sur les effets visuels : la tempête de sable. Il s’agit en l’occurrence d’une simulation de particules très complexe puisque le phénomène devait couvrir tout l’horizon. Cette séquence comporte également l’une des deux seules cascades du film réalisées en animation 3D : celle du véhicule qui se fait aspirer dans les airs par une tornade, puis qui explose et retombe. Impossible de filmer ça en prises de vues réelles. Pour l’occasion, George Miller a bien été obligé de s’en remettre à la 3D.

Mad Max : Fury Road a beau comporter plus de plans VFX qu’un Star Wars ou qu’un Iron Man, sa philosophie est complètement différente. “Dans ce film, ce sont les effets spéciaux de plateau et les cascades physiques qui guident l’action,” conclue Jackson. “Les effets visuels ne sont là que pour les compléter, pour les renforcer. Jamais ils ne s’y substituent. Et à l’arrivée, cela se voit à l’écran. Aucun spectateur ne sortira de la salle en pensant qu’il a vu un « film à effets spéciaux » à la Avengers…”

ALAIN BIELIK, Mai 2015
(Commentaires visuels: Paul Schmitt)
Spécialiste des effets spéciaux, Alain Bielik est le fondateur et rédacteur en chef de la revue S.F.X, bimestriel de référence publié depuis 23 ans. Il collabore également à plusieurs publications américaines, notamment sur Internet