Un jour sur Terre

C'est le film documentaire animalier de tous les superlatifs : cinq ans de travail, 200 lieux différents de tournage dans 21 pays, six coréalisateurs, plus de  40 cameramen, pour un budget de 47 millions de dollars. Et beaucoup d'innovations technologiques pour faciliter le tournage en conditions extrêmes.

Alastair Fothergill, auteur et réalisateur principal de Un jour sur Terre, n'est pas un inconnu. A la tête de la Natural History Unit de la BBC, il a à son actif nombre de documentaires d'histoire naturelle. A partir de 1998, il s'est consacré au tournage de La Planète Bleue, long métrage sur les océans qui a rencontré un accueil enthousiaste du public à sa sortie en 2004.
Sur sa lancée, Alistair Fothergill a enchaîné avec le projet de Un jour sur Terre avec la même équipe. Cinq ans de travail à raison d'un an de préparation, trois années pour le tournage (novembre 2004 à juin 2006), un an de postproduction pour un budget, $ 47 millions inégalé à ce jour pour ce genre de film. Au résultat, un long métrage de 1h38, mais aussi 11 heures destinées à la série Planet Earth de la BBC. La version française du film bénéficie pour les commentaires de la voix de la chanteuse Anggun, laquelle signe également Terre, la chanson du générique de fin.

Synopsis
La narration nous emmène du nord au sud de la planète en variant les saisons : depuis le grand Nord en mars, quand les ours blancs sortent de leur hibernation, jusqu'en Antarctique en hiver austral. Puis on revient en un final tragique sur le sort des ours polaires, symbole de la nature menacée par le réchauffement climatique. Trois espèces d'animaux en particulier illustrent ce voyage : outre l'ours blanc, l'éléphant et la baleine à bosse racontent leur lutte pour la survie et symbolisent respectivement les tropiques et l'Antarctique. Et chaque espèce dans le film est représenté de façon privilégiée par un couple Mère-Bébé , une façon de bien souligner cette problématique de la survie vis-à-vis d'un public familial.
Les images sont sublimes, alternant plans larges sur les paysages et cadrages serrés sur les animaux, ainsi que séquences accélérées pour les changements de saison, et ralentis pour les scènes d'action. Toute cette mise en scène a nécessité nombre d'innovations technologiques pour le tournage et la postproduction.

La HD en vedette
Le premier choix a été d'utiliser intensivement la HD pour filmer même avec des lumières très faibles . Les oiseaux de paradis de Nouvelle Guinée évoluent dans des zones faiblement éclairées de la forêt et seules  les caméras HD pouvant fonctionner avec une très faible luminosité
ont permis de filmer leurs parades dans les moindres détails.
Mais l'utilisation de la HD  en conditions extrêmes n'est pas sans problèmes, comme l'explique Jason Roberts , un des logisticiens de l'équipe : « Pour filmer les ours blancs sur leur terrain, nous avons utilisé une caméra HD Varicam avec un objectif zoom de 800 mm. La HD est une technologie assez récente et c’était la première fois qu’on emmenait ce matériel dans des conditions où la température descendait en dessous de – 30°C.  Il fallait que la caméra reste au chaud et qu’elle soit constamment prête à tourner : faire chauffer la caméra pour l’amener à la bonne température, celle où elle est utilisable, aurait demandé trop de temps. La laisser à des températures trop basses aurait affecté la gamme des couleurs, particulièrement le bleu. Il nous fallait des batteries en permanence – et pour compliquer les choses, les batteries se déchargent plus vite à de basses températures. Nous avons donc utilisé des batteries longue durée au lithium destinées à l’exploration, qu’il fallait elles aussi maintenir au chaud, comme la caméra… Pour conserver tout cela à bonne température, nous avons développé un emballage spécial que nous avons appelé « enveloppe ours polaire ». Elle est faite de duvet piqué comme une sorte de housse de couette, à l’intérieur de laquelle a été installé un circuit chauffant. Il nous arrivait aussi d’ensevelir le matériel dans la neige car c’est le vent qui fait baisser la température. Nous avons aussi adapté les pieds de caméra en changeant la graisse habituellement utilisée pour les lubrifier. Les lubrifiants ordinaires auraient gelé, transformant les trépieds en blocs solides inutilisables. »


L’héligimbal Cineflex
Second choix clé : l’héligimbal Cineflex, cad une caméra montée sur un support
gyroscopique fixé sur un hélicoptère, ce qui permet une grande stabilité
d’image.
Ce système de caméra embarquée permet de filmer à grande distance avec une stabilité complète. Placé souvent sous le nez de l’hélicoptère, il permet de faire tourner la caméra à 360°. Celle-ci, quatre fois plus puissante que ses prédécesseurs, est commandée depuis l’intérieur de l’hélicoptère grâce à un joystick. Pour des questions de coût et en raison de sa nouveauté, ce système n’avait jamais été utilisé pour des documentaires animaliers ou naturalistes. L’héligimbal Cineflex était généralement équipé d’une caméra Sony 750 HDCam et d’un zoom Canon 400 mm permettant de filmer à plusieurs centaines de mètres de distance sans se faire repérer par les animaux. « Un exemple : les loups chassant le caribou à 30-40 km/h n'auraient jamais pu être filmés autrement, explique Alistair Fothergill, car ils sont très farouches et en plus ils évoluent sur un terrain très accidenté. ». Même chose pour les éléphants filmés de haut pour ne pas leur épargner le bruit de l'hélico.

Ralentis et accélérés
Là aussi, l'équipe d'Un jour sur Terre a innové, avec ce qu'Allistair Fothergill appelle le « moving time lapse » montrant en accéléré les changements de saison d'un paysage : la caméra non seulement filme à intervalles, image par image, mais se déplace et son mouvement est contrôlé par un rig, ce qui permet de revenir six mois plus tard et de répéter le même mouvement de caméra au même endroit. C'est le cas du passage où on évolue autour d'une branche d'arbre que l'on voit l'hiver sous la neige, puis fleurir au printemps. Plus subtil encore, la course du soleil d'hiver en Arctique, montant et descendant sur l'horizon : il a fallu faire un cercle complet de 360° tout en gardant le soleil au centre de l'image.
La caméra  utilisée pour les plans au ralenti est une caméra numérique qui enregistre directement sur disque dur. Il n’y a ni pellicule ni cassette. Les fichiers numériques sont stockés directement sur un ordinateur portable. Elle peut filmer à 2000 images par seconde, avec une résolution de 1024 x 1024 pixels. Cela signifie que l’on peut ralentir une action jusqu’à 40 fois, tout en conservant la netteté et le détail des images, comme dans la spectaculaire séquence du requin sautant hors de l'eau pour attraper une otarie.
« Une deuxième caractéristique importante, détaille Simon King, un des directeurs de la photo, est que la caméra filme avec une boucle de quatre secondes en continu. Cela signifie qu’elle enregistre constamment sur quatre secondes, puis qu’elle enregistre ensuite en recouvrant les quatre précédentes secondes. Cela nous a permis de la déclencher n’importe quand durant une
action spécifique et d’être certains de couvrir tout l’événement. Avec une caméra normale, il faut enregistrer avant le début d’un événement mais avec celle-ci vous pouvez déclencher à la moitié d’un événement et savoir que la caméra a déjà enregistré les deux secondes précédentes et qu’elle enregistrera aussi les deux suivantes.
Vous pouvez même la configurer avec un déclenchement à la gâchette en fin de prise, ce qui signifie que quand vous actionnez la gâchette, la caméra aura déjà enregistré les quatre secondes précédentes. Cela vous garantit de filmer une action décomposée du début à la fin.
Cette caméra a été développée à l’origine pour des crash tests pour l’industrie automobile. Nous avions besoin qu’elle fonctionne dans les conditions d’un tournage en pleine nature, nous avons donc dû l’adapter à nos exigences particulières. Il fallait que la caméra reste connectée à un processeur et à un ordinateur, à partir desquels elle était contrôlée, et qu’elle dispose d’une source d’alimentation régulière. Sur le terrain, nous avons donc installé une série de batteries de voitures à l’arrière de la Land Rover. Il fallait dix minutes pour que ça chauffe et ensuite, on ne les coupait plus. Et la caméra n’avait pas de viseur ; l’équipe a dû en adapter un pour que le cameraman puisse voir ce qu’il faisait ».

Une technique qui sait se montrer discrète, au service du message : avant tout une célébration de la Terre, selon Alastair Fothergill, plutôt qu'un plaidoyer engagé.

Paul Schmitt