Graphisme, Vidéo, Electro

Graphisme et house music : la nouvelle génération graphique dans les années 1990-2000.

Le mot French Touch est souvent utilisé pour décrire l’influence d’infographistes et artistes français dans le cinéma, particulièrement en animation. Ici, French Touch fait référence à la participation française dans la house music du milieu des années 90 au milieu des années 2000. Un mouvement qui s’est très vite  élargi à la création visuelle : flyers, pochettes de disques, vidéos mettent en place un univers visuel nouveau. Rarement musique et graphisme auront vécu telle symbiose.

Quelques-uns des meilleurs graphistes actuels  ont participé à ce mouvement, y ont même fait leurs premières armes : notamment les M/M, Geneviève Gauckler, Seb Jarnot  Michel Gondry et bien sûr les H5 dont a vu récemment le dernier projet, Hello H5 (voir ICI), à la Gaîté Lyrique. Fraichement sortis de l’école, ces jeunes graphistes ne se revendiquent pas d’un mouvement ou d’une idéologie commune. Ce qui les réunit est leur âge, leur cursus, leur intérêt pour la musique électronique et les références graphiques anglo-saxonnes. Ils rejettent l’idée d’un graphisme exclusivement culturel ou engagé, tournant le dos aux grands courants suisse et polonais ou au graphisme social et politique incarné par Grapus et ses héritiers tels Annette Lenz, Alain Le Quernec ou Vincent Perrotet .

Chacun élabore son univers graphique : Michel Poulain, alias La Shampouineuse, réalise des flyers inspirés des années 1970, tandis que les images technoïdes de Geneviève Gauckler côtoient les pochettes dessinées des M/M ou de Seb Jarnot. Alexandre Courtès revisite les comics et Agnès Dahan l’image de mode.  Des approches hétérogènes, avec néanmoins des points communs  qui participent d’un même questionnement de l’esthétisme convenu.

Graphiquement, la French Touch puise ses références dans l’univers de la grande consommation, dans le même esprit que le pop art d’Andy Warhol, mais avec son propre sens  iconographique, en s’attachant aux codes de consommation plutôt qu’aux objets eux-mêmes. Emblématique de cette approche, la pochette Superdiscount (1997), qui marque les débuts d’une longue collaboration de H5 avec le label Solid fondé par Alex Gopher, Etienne de Crécy et Pierre Michel Levallois, fait directement référence à  la grande distribution en évoquant les affichettes des soldes. Dans cet album-concept, les titres des morceaux relèvent de la même thématique (Tout doit disparaître, Prix Choc).

Ce détournement de la culture populaire participe de la culture du mix, du copié-collé, générée par l’outil informatique qui devient commun aux graphistes et aux musiciens de cette génération. Une esthétique du « sampling » qui se déclinera du print aux vidéoclips, où on remarquera aussi l’avènement d’un graphisme 3D inspiré par l’animation telle que la pratiquent les studios américains comme Pixar.

La photographie utilisée par les graphistes de la French Touch  remet elle aussi en question la notion d’esthétisme. Elle s’inscrit dans le sillage du courant américain de« l’antiphotographie » des années 1960-1970, privilégiant l’aspect documentaire des sujets ou « l’accident photographique ». Une approche déjà utilisée début des années 80 par l’anglais Barney Bubbles pour des pochettes de disques d’Elvis Costello. La French Touch systématise cette pratique. Agnès Dahan pendant plus de trois ans, immortalise chaque semaine les clubbers du Queen, à la façon d’un journal intime. Sylvia Tournerie choisit de son côté d’utiliser, pour les albums de Bosco (Paramour, À poil & poli et New Pax) des photographies anonymes récupérées dans de vieux magazines. Idem pour Serge Nicolas qui utilise des visuels de récupération trouvés sur Internet ou photographie des gros plans du corps féminin pour concevoir ses flyers. Et le duo de graphistes Restez Vivants ! prend le parti d’utiliser des clichés de vacances techniquement ratés…

Dans les années 2000, la formule d’une house dancefloor et funky s’épuise peu à peu, et la French Touch avec. Elle aura néanmoins signé,  selon Jean-Yves Leloup, rédacteur en chef de Radio FG, « l’éveil d’une scène électronique globale face à l’ancienne hégémonie de la culture pop anglo-saxonne ».

L’exposition au Musée des Arts Décoratifs à Paris, jusqu’au 31 mars 2013, rassemble plusieurs centaines d’œuvres graphiques et vidéoclips. Avec une scénographie de 1024 Architecture, duo alsacien mêlant architecture, image, son et lumière ; leur arbre de Noël électronique a récemment suscité la controverse à Bruxelles (voir sur notre blog). H5 signe de son côté le graphisme de l’exposition et de son catalogue. Avec en bonus, une série de soirées DJ le jeudi  soir jusqu’au 21 mars.

Paul Schmitt, janvier 2013