Festival de BD d'Angoulême 2013

Prix, expositions, dédicaces: le grand rassemblement annuel de la BD francophone.

 40 ans déjà, et le succès ne se dément pas. La BD est le secteur le plus fleurissant de l’édition, certes en partie grâce aux mangas japonais, mais la BD « franco-belge » (en fait européenne) se porte à ravir comme l’a encore démontré le Festival international de la bande dessinée d’Angoulême ce dernier week-end.
Un week-end dense, avec rencontres et dédicaces avec les auteurs, une foultitude d’expositions thématiques (voir ci-dessous et en images ci-contre) et bien sûr la compétition officielle où sont distingués à coups de « Fauves » (les « Oscars » d’Angoulême) auteurs et ouvrages.

Le palmarès
Le Grand Prix récompense chaque année un créateur du 9e art pour l’ensemble de son oeuvre. Dans le cadre du 40e anniversaire du Festival (du 31 janvier au 3 février 2013), un nouveau mode de désignation de cette récompense est entré en vigueur : une liste de 16 noms d’auteurs a été établie  sous l’égide de l’Académie des Grands Prix,  liste soumise ensuite aux suffrages des auteurs présents à Angoulême (dessinateurs, scénaristes, coloristes). Mais c’est toujours l’Académie qui choisit le Grand Prix « parmi celles et/ ou ceux qui auront réuni le plus de suffrages ». Un exercice de démocratie dirigée qui a fait grincer des dents (par twitter interposé) nombre de participants. Lewis Trondheim, membre du jury, a même accusé certains de ses collègues de voter blanc faute de connaître les auteurs finalistes. Ambiance…

Le choix final de Willem a par contre suscité l’adhésion. Né aux Pays-Bas en 1941, membre du mouvement contestataire Provo dans les années 60, il s’établit à Paris dès 1968 et contribue ses dessins satiriques à Charlie Mensuel, Charlie Hebdo et Libération  depuis 1981. Très prolixe, il a aussi publié nombre de BDs chez divers éditeurs.

Le Fauve d’or du Meilleur Album a été décerné au tome 2 de Quai d’Orsay, l’excellente et hilarante chronique dessinée par Christophe Blain du ministère des Affaires Etrangères français sous Dominique de Villepin, et en particulier de son intervention aux Nations-Unies en 2003 contre la guerre en Irak. Et le public d’Angoulême a eu droit à un scoop pour la remise des prix dimanche 3 février 2013 : le scénariste des deux albums, connu seulement sous le pseudonyme d’Abel Lanzac, est venu sur scène recueillir son prix et y révéler son identité. On se doutait qu’il s’agissait d’un ancien du ministère et on en a eu la confirmation : Antonin Baudry était alors conseiller de Dominique de Villepin avant de diriger actuellement le service culturel de l'ambassade de France à New York. On a connu des conseillers culturels moins qualifiés…

Patrimoine et nouveautés en expositions

Côté « patrimoine », deux incontournables en vue cette année. Uderzo, in extenso a permis de revoir la foultitude de héros créés par l’infatigable dessinateur en sus d’Astérix et Obélix. Et Angoulême pavoisée en l’honneur d’Uderzo a aussi salué ses successeurs par lui choisis pour reprendre Astérix et Obélix : Ferri au scénario et  Conrad pour le dessin.

Mickey & Donald, tout un art
rend certes hommage à leur créateur Walt Disney, mais aussi aux dessinateurs de génie qui ont su prolonger son œuvre. L’américain Carl Barks va marquer les esprits en adjoignant dès les années 1940 à Donald une foule de personnages secondaires pour enrichir les histoires: les neveux débrouillards, Picsou l’oncle milliardaire et radin, Gontran le cousin énervant par sa réussite éclatante, les affreux Rapetou, l’inventeur Géo Trouvetou, etc. Et dès les années 50, les BDs Disney s’européanisent. L’italien Guido Martina est un auteur prolifique des années 50 qui s’amuse même, à la fin des sixties, à transformer Donald en super héros dénommé Fantomiald. Dans la foulée, d’autres auteurs tout aussi doués – Romano Scarpa,Luciano Bottaro, Giorgio Cavazzano, notamment –imposent la notion d’une « école italienne » de production Donald et Mickey en Europe, bientôt concurrencés par des auteurs scandinaves.

Spirou, héros emblématique de Franquin, a quant à lui eu droit à  un documentaire filmé conçu par le producteur Cinétévé et diffusé sur Arte ce samedi 2 février.

Toujours visible sur place jusqu’au 3 mars 2013, Les arcanes d’Andreas explore l’univers de ce créateur franco-allemand, auteur de Rork et Capricorne. Personnage mystérieux et sans âge, silhouette élancée et visage taillé à la serpe, Rork mène l’enquête depuis les années 70 dans des aventures fantastiques où l’ésotérisme côtoie les voyages dans le temps. Capricorne, intialement personnage secondaire d’un des derniers épisodes de Rork, a pris son indépendance dans les années 80. Cet astrologue mène de troublantes épopées dans une série prévue sur vingt volumes – dont quinze publiés à ce jour. Et n’oublions pas la série fantastique Arq, la troisième par ordre d’importance avec une quinzaine de titres parus chez Delcourt. Admirateur de David Lynch, Andreas cultive l’ambiguïté des personnages et la complexité du récit, avec une exigence visuelle et narrative rare.

Autre exposition qui perdure jusqu’au 24 mars 2013, The Hoochie Coochie – Livres imprimés à l’encre et à l’huile de coude révéle un jeune éditeur alternatif qui a fait ses débuts en 2002. The Hoochie Coochie s’est d’abord développé autour de la revue TurkeyComix — soit une vingtaine d’auteurs amateurs s’essayant à diverses formes d’impression et de fabrication artisanale (gravure, sérigraphie, reliure japonaise, etc.). Depuis, The Hoochie Coochie s’est enrichi d’une autre revue, DMPP, en 2008 sous la houlette de l’auteur Gérald Auclin. DMPP complète Turkey Comix par son format (à l’italienne), par la diversité de ses axes et par une approche transversale de la bande dessinée. Plus une douzaine de livres à partir de 2007.

La BD est un secteur qui aborde seulement le virage du  numérique, mais le foisonnement créatif et festif du festival d’Angoulême témoigne d’une vitalité qu’on peut espérer gage de réussite à cet égard.

Paul Schmitt, février 2013